ARCHÉOLOGIE TOME I
Photographe Georges Fessy
Christian Menu
Dispersée. Dépérissante et ruinée. Échappant à l’emprise de l’histoire de l’instant. À la domination d’un conditionnement évasif et instable. À la contingence. L’architecture est mon archéologie. Hors de tout et hors du temps. Immanente. Une logique alternative. Non univoque. Mon autobiographie. Ma fiction. Mon patrimoine.
Dans l’incalculable nombre des possibles et des dédoublements. Là où nous pouvons nous débarrasser de nos certitudes.
La limite. La ligne de fuite. Face à la mort. Au moment où la question se pose. Se découvrir. Dans la recherche intime métaphysique. La libération de l’âme.
L’architecture est une ligne de composition traçant un chemin de Dédale parmi ces possibles. Il ne faut pas en attendre autre chose que l’expression d’une force essentielle qui renvoie à une pluralité d’intensités, de passages et de leurs diagonales, à une pluralité de productions de différences. Qui renvoie à une rencontre, une circonstance, à une somme d’événements singuliers.
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ARCHÉOLOGIE TOME II
Christian Menu
Photographes Georges Fessy Philippe Ruault
À rechercher l’indice ou la trace imperceptible de la réalité du moment perdu, l’architecture se divise et se disloque pour laisser apparaître la variabilité de sa figure insoupçonnée. Un sous-entendu. Il s’agit de renvoyer le sujet à l’infini dans l’élaboration algébrique de son tout. Dans un « plaisir désintéressé *». Libéré de lui-même. Affecté et infecté.
Une énigme.
L’univers ailleurs indiscernable. Que seule la pensée a la capacité d’envisager. Le rapport entre soi et soi. L’espace relatif.
La croyance à l’ordre unique n’est qu’une fiction. Un absolu irraisonnable. Un ordre terroriste.
Cette promesse enterre à jamais ce qui existe. Ce qui existe en tant qu’objet désigné. Enterre à jamais l’affection. « Nous nous plaisons **» alors à parcourir l’univers de nos pensées et non plus à considérer une beauté insignifiante. Un mouvement perpétuel. Un mouvement oscillant. Vibratoire. Dans notre intérieur secret et intime.
L’architecture est un coup de force, refusant l’injonction.
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LE CHEMIN BLANC
Christian Menu
Photographe Philippe Ruault
SANS CONTOUR NI LIMITE
Je ne sais pas, alors j’expérimente.
C’est une nécessité. Face à l’ubiquité de la réalité. Je ne peux me satisfaire d’une seule version de l’univers. Le chaos m’attire, par la multiplication des possibles qu’il laisse imaginer. Et par la reconstruction d’un monde original et transformé. À chacun le sien. Autant de mondes que d’êtres humains.
Je déploie mon architecture par l’enchevêtrement des voiles, des colonnes et des poutres de sa structure. Non par mimétisme mais par analogie à l’arborescence végétale. Pensant qu’elle n’est jamais à son extrémité. À sa mesure. Foisonnante et renaissante.
Le contournement me semble plus adapté, la démonstration, lourde et ennuyeuse. Je choisis le plaisir de me laisser aller à me perdre. Un oubli de soi et du temps. Avec comme seul risque,
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LA VAGUE DE KANAGAWA
Christian Menu
Photographe Philippe Ruault
Il s’appelait Tokitaro. Il habitait le quartier de Katsushika, sur les bords du fleuve Arakawa traversant la ville de l’Est, dénommée Edo. Tokitaro y apprit l’art de l’ukiyo-e, l’art de l’estampe. L’art du « monde flottant », de l’impermanence de toutes choses.
Tokitaro devint illustrateur. Il voulait raconter « l’histoire des origines ». Suivre les péripéties des avatars du Bouddha. Apprendre à dessiner la monumentalité de la montagne, profonde et obscure, la vigueur du jaillissement des torrents. La lourdeur et la puissance de la vague de l’océan.
Il appartient aux poètes, aux peintres de raconter l’histoire du monde. D’évoquer les espaces démesurés hors d’atteinte de l’homme.
Il leur appartient de porter le « discours des origines » dont les usages comme les objets sont marqués.
Il leur appartient de « transposer » le monde en une figure réduite. Le gigantisme de la nature en quelques vers ou quelques traits.
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CE SENTIMENT OCÉANIQUE
Christian Menu
Photographe Philippe Ruault
LA LAME DE FOND
À définir mon architecture et mes pensées mêlées de l’histoire de ma région, de l’art et des mathématiques je citerais Romain Rolland qui, à sa volonté d’harmonie avec l’univers « plus grand que soi » fait appel à la notion de « sentiment océanique ». Notion qui a fondé tout au long de ces années ma vision du monde, de l’activité humaine, et celle de mon architecture.
L’océan me fascine. Le bleu de la mer. Le bleu profond ou cristallin. Des mers et des lagunes. Des eaux montantes et descendantes. Du ciel qui s’y reflète.
La houle du large m’impressionne. Incurvant la ligne d’horizon à intermittence.
La houle qui vient de loin du milieu de l’océan. Puissante et lourde. Elle attaque le rivage. Le submerge. Une lame de fond. Elle progresse, s’élève pour brutalement s’effondrer et se fracasser sur la berge.
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LA PASSE DE PELLESTRINA
Christian Menu
Photographe Philippe Ruault
À SUIVRE LA VOIE OBLIQUE DU LABYRINTHE.
Je crois aux évènements et aux conjectures. Aux plis et replis. Aux lignes et aux traces. Aux plans et aux vides. Aux disjonctions. Aux passages, aux couloirs, aux cols, aux détroits, aux ports, aux chenaux. Aux récurrences. Je crois à l’indivisible et à la dualité quantique. Celle de l’indéfinissable centre des choses. Je dessine altération, réitération, prolifération et inconstance, espérant fendre l’unité de l’insécable. Je trace la ligne de fuite. J’aligne les pylônes soutenant le monde. Les multiplie. Une forêt et sa canopée. Une forêt de fûts de métal mêlés aux fûts de bois de chêne. S’insinuer. Et traverser.
Le visiteur, en quête d’un accès à un parcours imaginaire, gravit une volée. Aboutit à une première terrasse. Puis une deuxième un peu plus haute. Jusqu’à atteindre la ligne de toiture par un enchevêtrement d’emmarchements et de rampes.
De la rue Neuve aux jardins intérieurs en terrasse. Des jardins aux salles d’exposition. Le visiteur empruntant les escaliers, les rampes de verre et les coursives de métal, atteint le sommet du bâtiment selon un parcours décalé de palier en palier.
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À LA LIGNE D'HORIZON
Christian Menu
Photographe Philippe Ruault
À LA LIGNE D’HORIZON
À l’ouest, la mer s’est retirée.
Découvrant les terres du rivage sans relief.
Une ligne blanche d’écume sépare le ciel de la mer.
Une ligne continue d’une extrémité à l’autre de l’horizon, recoupée des têtes des pilotis des pontons de pêche.
Une ligne, qui à suivre la rondeur du globe, s’incurve. La droite devient une courbe, dont les extrémités se rejoignent.
Une ligne qui témoigne de l’infini de l’univers. Absolue. Impressionnante et poétique. Tendue en direction du soleil.
Elle porte le regard bien au-delà du paysage dont l’œil ne cerne qu’une centaine de degrés d’angle. L’esprit prend conscience de cet infini sans pour autant parvenir à le concevoir.
La ligne droite et horizontale, construit le monde, le recoupe, le divise et le reconstitue dans le jeu des assemblages. Distinguant le dessous du dessus, l’intérieur de l’extérieur. Une géométrie abstraite séparatrice de l’espace et du temps. Une géométrie abstraite séparatrice du ciel et de la mer. ...